Manifeste pour une Université de la Paysannerie et de l’Artisanat

Une université paysanne, pour quoi faire ?

L’Université Paysanne, telle que nous l’imaginons, répond à plusieurs enjeux cruciaux auxquels la société française doit actuellement – et urgemment – faire face.

La classe paysanne en voie d’extinction

D’une part, la disparition de la classe paysanne ébranle fortement l’autonomie alimentaire de la France, qui repose non seulement sur la quantité mais aussi sur la qualité et la diversité de ses productions. La concentration des très grosses exploitations, qu’elles soient céréalières ou d’élevages et qui, pour beaucoup, se destinent à l’exportation, appauvrit en effet le savoir-faire paysan (et tout ce qu’il contient de spécifique en rapport avec l’histoire et la géographie d’une terre de culture) en même temps qu’elle dégrade à la fois les sols, leurs fruits et la santé de celleux qui les produisent et les consomment. Précarisé.es par l’agro-industrie, les agriculteur.rices subissent aussi, et subiront de plus en plus les effets du réchauffement climatique. La montée des eaux, la salinisation des sols, l’intensité des périodes de crue, de pluie ou de sécheresse rendront leur travail de plus en plus difficile et insoutenable, qu’ielles produisent sur les sols marécageux du Cotentin ou sous un temps caniculaire en Provence. Nous ne voudrions pas écraser ici nos lecteur.rices sous un océan de statistiques toutes plus déprimantes les unes que les autres. Nous pourrions rappeler comment deux millions d’exploitations agricoles ont disparu en France en cinquante ans, notre pays perdant ainsi sur la période les trois-quarts de ses agriculteur.rices. Nous pourrions aussi rappeler que plus de dix agriculteur.rices se donnent la mort chaque semaine dans l’Hexagone. Au cas où nos lecteurs souhaiteraient mieux connaître la situation de nos agriculteur.rices et paysan.nes, nous les invitons à se référer aux nombreux livres, articles, documentaires ou rapports qui en parlent déjà très bien1. Nous tenions cependant à vous en partager l’un d’entre eux, gagnant du prix Albert-Londres2.  L’extrait choisi se présente sous la forme d’un témoignage qui résume parfaitement les enjeux et les défis – sociaux, politiques et écologiques – que posent la formation de nouveaux travailleur.ses de la terre aujourd’hui. Nicolas Legendre, journaliste et fils de paysan.nes breton.nes, y décrit la « modernisation » de l’agriculture en Bretagne, vécue par son père dans les années 1980. Celui-ci, pourtant pas un « bio » mais seulement un « petit », bien considéré par ses pairs, écoute le sévère constat de Michel, adhérent du syndicat local et administrateur de la coop. L’extrait vous semblera peut-être un peu long pour un manifeste, mais il nous paraît important que vous le lisiez jusqu’au bout, car il est d’une grande justesse et dégage beaucoup de sincérité pour expliquer ce qui nous motive.

Michel lui expliqua, en substance, que les petites difficultés financières concernaient surtout les « petits » et que la filière se porterait mieux une fois que ceux-ci auraient cédé la place aux vrais exploitants modernes. […] Michel sous-entendait qu’un exploitant plus avisé finirait par « bouffer » un jour ou l’autre la ferme de mon père. […] Michel était plutôt lucide, d’une certaine façon, puisque ni mon frère, ni ma sœur, ni moi n’avons repris la ferme, qui a été cédée à un voisin au moment du départ en retraite de mes parents. Ce qui heurta mon père lors de cette discussion n’était pas le fait que son confrère formule une hypothèse crédible, mais qu’il adhère totalement au processus en question. […] Car enfin, pensait-il, à ce rythme, il n’y aurait bientôt plus qu’un seul paysan dans le canton ! Celui qui aurait bouffé tous les autres. Peut-être même qu’il n’y en aurait plus du tout. […] Quelques années après cet échange, Michel transmit sa ferme à son fils, Vincent, qui a vu encore plus grand. Qui a avalé d’autres fermes. Qui a robotisé son exploitation. Qui s’est endetté. Qui passait des journées entières sur son tracteur, du fait de son engouement pour la belle mécanique mais aussi à cause des distances faramineuses qui séparaient désormais ses parcelles. […] Vincent s’est épuisé. Il a arrêté avant la faillite, l’infarctus ou le suicide. Il a vendu la ferme. […] Vincent a changé de métier. Game over. Un paysan de moins. Une ferme de moins. […] Victor, un autre « gros » a acheté la ferme de Vincent, totalisant ainsi plusieurs centaines d’hectares dans un rayon de 10 kilomètres autour de son siège d’exploitation. […] Je souhaite à Victor de réussir. Sincèrement. Je lui souhaite d’encaisser la pression, de supporter les dettes, les journées interminables, les contrôles et les « mises aux normes », l’accumulation des factures, l’indécence des discours et la variabilité des cours, les injonctions du « syndicat » et celles de la « société ». Quiconque a  déjà élevé une seule vache et ensemencé un seul hectare imagine le niveau de stress qu’engendre la responsabilité de deux-cent fois plus de bêtes et la mise en culture de cinq-cent fois plus d’hectares. Même avec les machines les plus perfectionnées – qui sont aussi les plus coûteuses -, même avec les techniques les plus « abouties », cela peut relever du sacerdoce. Je souhaite à Victor de ne pas flancher. 

Tout ce que nous avons évoqué au sujet de la classe paysanne s’applique de manière tout aussi pertinente en ce qui concerne celle des artisans.nes. Si le modèle industriel et productiviste s’est lentement immiscé dans l’agriculture depuis deux siècles,  il faut attendre l’après-guerre, sous l’effet du remembrement et des nouvelles politiques d’orientation agricole, pour qu’il l’emporte véritablement. Le modèle artisanal s’est en revanche incliné beaucoup plus tôt dans l’histoire de l’industrialisation avec l’essor de la classe ouvrière, avant que celle-ci ne diminue fortement à son tour sous l’effet de la désindustrialisation du pays lors du tournant néolibéral. Tout en ébranlant à court-terme l’autonomie industrielle du pays, celui-ci impose aux usines demeurées en France des conditions de travail incompatibles avec les enjeux écologiques et sociaux que nous avons soulevés. Tout comme pour l’agriculture, la précarisation des conditions de vie, la surmortalité, la dégradation des réseaux de solidarité au travail et celle du rapport entre le travailleur et son outil ainsi que son produit touchent particulièrement la population ouvrière. Or, tout comme pour l’agriculture, le marché de l’emploi laisse peu de place aux productions artisanales qui peuvent échapper à ces logiques. De fait, le savoir-faire artisanal s’est considérablement affaibli sous l’effet de l’uniformisation et de la standardisation. Il se révèle d’autant plus fragile que la moindre construction requiert le plus souvent des outils et des matériaux que nous ne produisons plus près de chez nous. Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’un réempaysannement est indissociable d’un « réartisanement » qu’il ne faut donc pas confondre avec une réindustrialisation. En effet, celle-ci ne résout rien des enjeux écologiques, sociaux et politiques qui s’imposent à nous. L’un outillant l’autre, le second nourrissant le premier, « réartisanement »  et « réempaysannement » s’accompagnent mutuellement. Tout comme l’agriculture, moins de machines ne pourra se faire sans plus de bras, mais également sans plus de chantiers et d’infrastructures soutenables et vertueux. Aussi nous pouvons réaffirmer le même pari que pour la condition paysanne : les défis à venir offrent aux ouvrier.ères et artisan.nes l’opportunité d’être digne et émancipatrice.

Malheureusement, force est de constater que la tendance n’est pas en notre faveur chez les décideur.euses, actionnaires et politicien.nes. Notre tâche est donc immense et requiert toute l’attention qu’elle mérite auprès de tous.tes celleux qu’elle concerne. Bien qu’importante, la question des rémunérations (ou du niveau de vie) n’est plus suffisante pour aborder comme il se doit la question paysanne. Nous jugeons indispensable une réponse politique de rupture, puissante et radicale qui ne s’arrête pas à la simple justice fiscale et qui s’engage dans une véritable bifurcation sociale et anthropologique. À ceux qui estiment impossible un tel changement dans un délai aussi court, nous leur posons la question suivante : qui aurait pu penser qu’il y a de cela deux siècles, le capitalisme puisse se répandre aussi rapidement sur l’ensemble de la planète, et provoquer la sixième extinction de masse des espèces qu’elle abrite ? Nous le répétons et ne le dissimulons pas : la tâche sera rude ; mais elle serait infiniment plus tragique si nous décidions de continuer à nous voiler la face. D’ici 2030, la moitié des exploitant.es agricoles atteindra l’âge de la retraite. Une masse considérable de terres et de fermes s’apprête à changer de mains… Lesquelles ? Il nous appartient d’en décider : ou bien la poigne de fer d’une agriculture intensive et mourante, ou bien le poing énergique et émancipateur de paysan.nes autonomes et solidaires3.

Pour que la jeunesse sursaute

À l’heure où nous écrivons ces lignes, des millions de jeunes regardent leur avenir sur cette terre qui s’embrase avec l’œil froid de l’impuissance, subissant les effets précoces de l’instabilité matérielle et psychique à laquelle le marché du travail les condamnera plus tard.

Hors des grandes écoles réservées à quelques privilégié.ées où se perpétue l’entre-soi, la jeunesse estudiantine doit subir les effets de politiques désastreuses pour notre système éducatif et universitaire : les écoles privées onéreuses obligent à l’endettement tout juste la majorité atteinte, tandis que l’université publique, sous asphyxie financière, est contrainte à réduire d’année en année la diversité et la qualité de ses formations. Tout cela nous rapproche dangereusement du modèle états-unien. La forte sélectivité des filières pèse ainsi de plus en plus sur les étudiant.es, soumis.es à la pression constante de l’évaluation et à l’arbitraire des plateformes de sélection (Parcoursup et MonMaster). Cette logique concurrentielle ainsi que les tailles exponentielles des promotions dues au manque de moyens contribuent à dégrader toute forme de collectif au sein des universités. Il y a dans nos universités (à l’image, probablement, de beaucoup de lieux de travail) un sentiment massivement partagé de solitude, que des formes de regroupement et d’actions collectives peinent à enrayer car les structures ne favorisent aucunement leur émergence et renforcent au contraire les comportements de passivité. Souvent cloisonnés dans les métropoles, les lieux de formation limitent les accès à des réseaux de solidarité, affectant l’hygiène de vie mais aussi la santé mentale (si tant est que les deux puissent être séparées). L’accès restreint à une alimentation de qualité – un accès, nous y reviendrons, qui n’est pas seulement une question de volonté politique, mais de réalité physique d’après laquelle il est en effet difficile de nourrir en quantité et en qualité les habitants de métropole –  et une forte sédentarité au quotidien (que les activités sportives universitaires, très rapidement saturées ou peu accessibles en raison de la charge de travail étudiante, ne permettent pas de compenser), sans même parler des problèmes de sommeil et de fatigue dus au stress, à l’usage des écrans et à l’anxiété qui touchent une partie croissante de la société, ne sont pas sans dégrader les bien-être physique, moral et intellectuel à propos desquels il n’est pas nécessaire de rappeler ici qu’ils sont intimement liés. 

Hors des métropoles et des universités, les jeunes en filières d’apprentissage, en plus de partager la plupart de problèmes que nous venons d’évoquer, souffrent d’un manque de reconnaissance. Malgré toute l’importance qu’il serait bon de leur accorder, l’image et la place que la société leur assigne restent celles d’une pratique déconsidérée, et ce dès les études et le choix des filières d’apprentissage. Ceux qui ne feraient pas partie de l’élite économique ou politique, ni même de la petite bourgeoisie culturelle, joueraient pourtant un rôle vital dans la reconstruction d’une véritable autonomie paysanne. 

Malgré toutes les nuances qui peuvent exister entre les classes sociales, il semble qu’une grande partie de la jeunesse soit préoccupée par son avenir, sa vie professionnelle, et le sens à leur donner. Dans son livre Sois jeune et tais-toi4, la journaliste Salomé Saqué recense plusieurs études révélatrices de l’actuel désarroi de la jeunesse. Selon une étude du Lancy Planetary Health5 (2021), l’avenir est jugé effrayant par 74 % des jeunes de 16 à 25 ans interrogés. Dans la même tranche d’âge mais sur dix pays, 84 % disent être inquiets face à la crise écologique, et 45 % affirment que cette détresse psychologique affecte leur vie quotidienne6. Voilà en ce qui concerne les préoccupations écologiques. Les débouchés offerts par le système éducatif et universitaire ne soulèvent pas moins d’inquiétude. Selon une étude de l’institut Montaigne (2022)7, 41 % des jeunes disent rencontrer des difficultés dans le cadre de leurs études, tandis que 28 % déclarent être insatisfaits de leur orientation scolaire. Un peu plus de la moitié des jeunes de niveau inférieur au bac considèrent leurs études inutiles. Selon une autre étude8, 68 % des jeunes Français estiment que le système éducatif de leur pays ne repose pas sur une réelle égalité des chances, tandis que 87 % d’entre eux le jugent inefficace pour rentrer sur le marché du travail. 

Au croisement de ces préoccupations écologiques et professionnelles, le désir d’être utile à la société dans le cadre de son emploi est « important » pour 59 % des jeunes, voire très important pour 29 % d’entre elleux (2019)9. Dans un même registre, c’est 65 % d’entre elleux qui se disent prêts à renoncer à postuler dans une entreprise qui ne prend pas assez en compte l’environnement. Le décalage entre l’exigence de plus de la moitié des jeunes Français et l’offre que le marché du travail capitaliste leur propose est très significatif et prouve, si besoin en était, que celui-ci ne propose aucune issue favorable aux problèmes sociaux et écologiques, et contraint même les travailleur.euses à collaborer à leur aggravation. Or, ce marché du travail, auquel beaucoup se trouvent (se croient ?) fatalement enchaînés, ne présentant aucune issue favorable et favorisant les sentiments d’impuissance collective, plonge les individus dans des états psychiques préoccupants qu’aucune issue politique ne parvient à résoudre. On est alors en droit de se demander : en quoi l’exploration de nouveaux lieux d’enseignements, qui apporteraient, en partie, mais très concrètement, une réponse aux inquiétudes et aux enjeux écologiques, serait-elle moins crédible et généralisable qu’un système déjà à bout de souffle ? 

Dans une économie où les métiers essentiels pour habiter le monde sont dévalorisés et leurs travailleur.euses précarisé.es, nous imposant une myriade de « sales boulots » et de « bullshit jobs »10 ou, pire, de métiers au service de la destruction du vivant comme les seules issues possibles à de nombreuses formations universitaires et techniques, accompagner le retour à la terre, ou se former aux côtés des futur.es paysan.nes si l’on en fait pas soi-même partie sera, pour des millions de jeunes Français.es, le moyen de ne pas sombrer dans un nihilisme extrêmement préoccupant pour l’individu et la communauté dans son ensemble. Loin d’être une contrainte, l’UPA représente une opportunité plus qu’urgente d’émancipation

Quel rôle à jouer pour l’Université paysanne ?

Par conséquent, et malgré l’emprise du productivisme sur le corps et les esprits des travailleur.euses, la situation est plus fertile en révolution qu’on ne le croit. Elle exige néanmoins de repenser à la fois notre culture alimentaire en même temps que celle de notre éducation. L’UPA est à la jonction de ces deux préoccupations majeures. Afin de répondre à la hauteur des enjeux, elle participera à restaurer le lien précieux entre les espaces ruraux et urbains, reconnectant ainsi des mondes que la modernisation a tant éloignés et qui ont pourtant tout intérêt à se rejoindre dans la lutte contre les effets délétères de ce soi-disant progrès. Elle aura également pour objectif de remettre la question alimentaire au centre des préoccupations des citoyen.nes et en particulier des jeunes générations, considérant qu’être capable de réfléchir à notre façon de s’alimenter et de produire en conséquence devraient être des gestes aussi habituels et anodins qu’un brossage de dents. Autrement dit, former de futur.es citoyen.nes et travailleur.euses ayant profondément intériorisé et acquis l’importance et les conditions élémentaires de leur existence. Enfin, elle aura vocation à prendre nos distances avec un système éducatif qui repose sur une logique comptable d’évaluation, l’acquisition de savoirs uniquement théoriques et la transmission verticale et passive des savoirs, avec les effets que l’on connaît sur la santé mentale des élèves et étudiant.es. Pour cela, il faudra repenser un mode d’éducation qui reconnaisse davantage le travail collectif, l’utilité sociale du travail d’apprentissage et la formation à des savoirs et savoir-faire essentiels pour habiter le monde sans participer à sa dégradation. La revalorisation du travail manuel et de l’artisanat doit être la priorité d’un tel système éducatif, de même que la repolitisation du rapport au savoir et à l’apprentissage. Les échanges et les interactions entre divers secteurs d’activité de la société, entre les générations, entre la ville et la campagne, entre le champ et l’usine, sont une priorité. 

À quoi pourrait ressembler l’Université de la Paysannerie et de l’Artisanat ?

L’UPA a pour objectif de mettre en lien des personnes désireuses de faire l’expérience d’une rupture avec un mode de vie ou un travail dans lequel elles ne trouvent pas le sens, le plaisir, l’intérêt ou les conditions éthiques qu’elles attendraient, et des paysan.nes qui seraient en mesure de les accueillir dans leur ferme et de les former à des pratiques paysannes et artisanales sur une période de plusieurs mois (les modalités pratiques étant à définir en fonction des moyens qui seront alloués au projet). L’université paysanne proposera une articulation entre l’apprentissage des savoirs-faire techniques – agricoles, artisanaux – et des enseignements et travaux théoriques – qui seront dispensés dans un lieu d’enseignement spécifique dans le but de promouvoir, tant que faire se peut, l’échange de savoirs autour des thématiques agricole et alimentaire (les formes et la taille de cet « autour » seront évidemment toujours à redéfinir, de nouvelles questions devant – c’est en tout cas ce que nous espérons – émerger de ces nouveaux lieux de savoir). 

L’articulation du travail paysan avec un espace d’enseignement et de discussion théorique nous paraît nécessaire dans la mesure où la production alimentaire se fait toujours dans un contexte social, économique, politique, historique, géographique et scientifique qu’il est important de comprendre et de théoriser pour pouvoir se positionner en tant que producteur.trice ou simplement en tant que citoyen.ne desireux.se d’en comprendre les enjeux. L’existence d’un espace de réflexion et d’enseignement collectif présente par ailleurs l’intérêt de pouvoir constituer un collectif de travail réunissant les « apprenant.es » d’un.e même département/région, afin que la formation ne se réduise pas à une expérience en solitaire, comme cela peut être le cas en Woofing par exemple11

Il s’agit aussi de proposer une formation où mettre immédiatement en pratique les savoirs dispensés : partir d’un besoin concret, d’une situation ou d’une problématique réelle et pouvoir y répondre par l’intelligence collective. Des activités de recherche pourraient par ailleurs avoir lieu au sein de ce lieu d’enseignement qui favoriserait la mise en commun des savoirs et expériences

C’est pourquoi nous avons à cœur de rassembler une diversité d’acteurs, qu’iels soient proches ou à première vue éloigné.ées du milieu agricole – paysan.nes, artisan.nes chercheur.euses universitaires, représentants syndicaux et associatifs, artistes et intermittent.es du spectacle – afin de former des citoyen.nes et des travailleur.euses au contact de la condition et du savoir-faire paysan. Réempaysanner le pays, c’est aussi réempaysanner les esprits. Dans un second temps, il s’agira de promouvoir la démétropolisation sur le territoire et développer plus de proximité, de compréhension mutuelle et d’entraide entre ruraux et citadins, comme cela a pu déjà se manifester à de multiples reprises au cours de divers mouvements et luttes sociales dans l’histoire de notre pays. L’UPA a donc des ambitions à la fois matérielles et culturelles, qui ne seront satisfaites qu’une fois réalisée la repolitisation de l’université d’un côté, et de la condition paysanne de l’autre. Par conséquent, la praxis politique doit être une part essentielle et non négligeable de la vie universitaire. 

À qui s’adresse l’UPA ?

  • les étudiant.es souhaitant se former au travail paysan ou s’y rendre sensible lors d’une expérience de longue durée ; 
  • Les jeunes et travailleur.euses qui ont fait des métiers manuels leurs professions. Qu’ils soient menuisier.ères, charpentier.ères, chaudronnier.ères, électricien.nnes… : leurs savoir-faire sont au cœur des disciplines à maîtriser au sein d’une ferme. L’UPA leur propose de mettre au service de la paysannerie et du virage écologique qu’elle doit prendre leurs aptitudes techniques concrètes. En retour, leur intégration au sein de l’université devra permettre à ces artisans et techniciens de politiser leurs pratiques et de développer des connaissances et des compétences complémentaires à leurs savoir-faire initiaux, afin, s’ ils le souhaitent, d’éviter de s’enferrer dans une organisation industrielle du travail ;
  • les travailleur.euses de la recherche universitaires. Qu’ielles soient urbanistes, hydrologues, géographes, historien.nes, sociologues etc., leur rôle et leur place se trouvent aussi hors des universités, sur le terrain des actions ;
  • les acteurs de l’orientation et de la reconversion professionnelle. Leur expérience dans l’accompagnement social, leur souci de soutenir des individus vers des parcours et des carrières selon les qualités et les valeurs de chacun.e seront d’une aide précieuse dans le fonctionnement de l’Université ; 
  • les intermittent.es du spectacle et les travailleur.euses artistiques. Parce que la bataille n’est pas seulement économique mais aussi culturelle, la représentation du réempaysannement dans les arts et le divertissement sera un atout indéniable pour notre cause ; 
  • tout individu soucieux d’articuler ses capacités, même éloignées de l’agriculture, à des enjeux vitaux qui le concernent, l’UPA n’ayant pour condition aucun diplôme ni capital pré-requis.

Quid de l’existant ?

L’UPA ne se réduit pas à un cursus professionnalisant classique, comme il en existe déjà par ailleurs et sur lesquels nous pourrions d’ailleurs nous appuyer, tels que le proposent entre autres l’Université de Tours (DU agroécologie paysanne) ou certaines écoles ou plateformes adressées à des porteurs de projet professionnel. Ces exemples représentent cependant un réseau étoffé de fermes et de professionnel.les prêt.es à accueillir, auxquels il ne manque plus donc qu’un intermédiaire capable de catalyser toutes les alternatives et de les inscrire dans un cadre de réflexion collectif, tout en favorisant le contact entre métiers proprement agricoles et tous les autres secteurs ; en somme, de faire de ceux-là un nouveau centre de gravité politique afin d’encourager la bifurcation vers l’agriculture paysanne en même temps que de nourrir les autres professions et les transformer à l’aune de ces enjeux. Notre ambition est donc fermement politique et militante. C’est sans aucun doute ce qui la distingue le plus de l’existant.

Comment financer

Compte tenu du contexte sociopolitique dans lequel nous nous trouvons, un tel projet requiert à l’évidence le concours de l’État et/ou des pouvoirs publics. Si on le veut massif et réellement décisif face à l’urgence écologique et sociale à laquelle nous faisons face, nous devons exiger de l’État bien plus que l’actuel service civique écologique et tous ses avatars, qu’on pourrait allègrement qualifier de greenwashing. Nous espérons obtenir un soutien fort de l’État sans pour autant perdre une certaine autonomie.  

Néanmoins le contexte politique ne semble pas en notre faveur, aussi d’autres pistes de financement sont actuellement à l’étude : partenariats avec des associations ou organismes de formation déjà existants, recours à des fonds de dotation, financements régionaux et/ou départementaux, appui sur des partenaires locaux etc.

Comment mobiliser sans imposer

Une problématique essentielle subsiste en effet : comment ne pas retomber dans des politiques dites punitives ou coercitives, et comment convaincre de l’opportunité personnelle et collective que l’UPA représente ? En d’autres termes, comment ne pas réduire les enjeux qui nous concernent à une simple question de privations et de sacrifices,  mais au contraire de les voir comme une opportunité de s’élever et de s’en sortir par le haut. La première des conditions est évidemment financière et matérielle.

Nous pouvons d’abord nous reposer, comme nous l’avons constaté, sur des réseaux d’accueil et de formation déjà bien étoffés. Il n’en reste pas moins que l’autonomie financière des étudiant.es est absolument décisive. La création d’une bourse étudiante, financée à partir d’une caisse de réempaysannement (qui servira en outre à toutes les dépenses nécessaires en lien avec l’Université) serait souhaitable, même si nous devons bien avouer que trouver des financements ne sera pas chose aisée sans l’appui du gouvernement.  

Il revient à la structure universitaire de prendre en charge, clef en main, l’accueil des futur.e.s participant.e.s (logement, nourriture, outils informatiques, documents et revues, matériel de travail). Dans le cadre de cette nouvelle organisation du travail, une contractualisation entre les parties sera nécessaire pour définir les bases d’un échange équitable et bénéfique pour tous, à la seule condition de pouvoir être rompue immédiatement et sans motif par les accueilli.es, et sous motifs spécifiques par la structure d’accueil.

Il est également possible de s’appuyer sur la mise en place de monnaies locales, d’expérimenter des pratiques autonomes collectives, ou bien encore de soutenir les efforts de résilience selon les moyens et les besoins de chacun.e (partage des tâches quotidiennes, pratiques sportives, etc.). Enfin, des campagnes de sensibilisation devront être massivement menées afin de convaincre ceux que nous ambitionnons de toucher (nous y comptons tous.tes celleux qui ne deviendront pas agriculteur.trices ou paysan.nes mais qui auront bénéficié.e, de près ou de loin, de l’existence d’un tel lieu). Nous espérons pouvoir compter sur des organisations dont les ambitions croisent les nôtres : syndicats professionnels et étudiants, associations, collectifs militants, médias indépendants, influenceur.euses, et n’importe quelle personne ou groupe de personnes qui reconnaît l’importance de notre démarche et souhaite contribuer à sa hauteur et selon ses moyens à la diffusion de notre projet.  

Si le service militaire a pu contraindre des millions de jeunes à se former à la mort, en quoi serait-il moins envisageable de rassembler des citoyen.nes autour d’une pratique autrement plus universelle, raisonnable et pacifique ? À l’heure où les esprits belliqueux s’échauffent et où la remilitarisation s’impose aux yeux de nos dirigeants, il nous revient de nous poser la question à leur place et d’y répondre. Un choix s’offre à nous : se préparer aux guerres qui anéantiront nos récoltes, ou bien se rassembler pour assurer les récoltes qui abattront les guerres.


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  1. En voici une liste loin d’être exhaustive : L’Atelier paysan, Reprendre la terre aux machines (2021) ; Xavier Noulhianne, Le ménage des champs (2016) ; Inès Léraud, Léandre Mandard, Pierre Van Hove, Champs de bataille, l’histoire enfouie du remembrement (2024) ; Hubert Charuel, Petit Paysan, (2017) ; Gilles Perret, La ferme des Bertrand (2023) ; Raymond Depardon, Profils paysans (2001, 2005, 2008) ; Stan Neumann, Le temps des paysans (2024). ↩︎
  2.  Nicolas Legendre, Silence dans les champs. Édition HarperCollins, France, 2023. ↩︎
  3. Nous ne préconisons là rien de nouveau, évidemment, et ne faisons que nous joindre à une lutte que mènent de nombreux acteurs tels que Via Campesina ou les Soulèvements de la terre (Premières secousses, Paris : Éditions La Fabrique, 2024). ↩︎
  4.  SAQUÉ, Salomé. Sois jeune et tais-toi : réponse à ceux qui critiquent la jeunesse. Paris : éditions Payot, 2024. ↩︎
  5. Ibid. p. 154 ↩︎
  6. Ibid. p. 154 ↩︎
  7. Ibid. p. 72 ↩︎
  8. Ibid. p. 72 ↩︎
  9. Ibid. p. 268 ↩︎
  10. Respectivement théorisées par le sociologue Everett C. Hugues (dirty works) et l’anthropologue David Graeber, les deux situations, quoique différentes sous maints aspects, décrivent ensemble des situations de dégradation humaine et de dévalorisation de soi. ↩︎
  11. Ce genre de plateformes, pas inutile certes, ne propose en effet que des expériences individuelles ou isolées, peu politisées et n’ayant que peu d’effets et d’envergure dans le rapport de force où se confrontent fermes alternatives et industrie agro-alimentaire. En bref, elle n’est pas à la hauteur des événements qui exigent une véritable offre politique et un modèle de société, même s’il est sans aucun doute nécessaire de passer par des expériences à petite échelle. ↩︎

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